vendredi 20 octobre 2017

Dans la chambre à coucher de Monet


Attardons-nous un instant sur l’histoire d’un artiste. Aujourd’hui, j’ai choisi de vous raconter l’histoire d’un Claude Monet secret et inconnu à travers sa collection privée d’œuvres d’art. Vous ne le saviez peut-être pas, mais Claude Monet avait une âme de collectionneur. C’est ce que propose de nous faire découvrir pour la première fois le Musée Marmottan-Monet. Une collection constituée de chef-d’oeuvres impressionnistes et pré-impressionnistes mais également de quelques surprises qu’on n’attendait pas, comme des œuvres des peintres de la vie parisienne : Constantin Guys, Jules Chéret ou encore Toulouse-Lautrec que Monet appréciait particulièrement. Il paraît d’ailleurs qu’au sujet de Toulouse-Lautrec Monet conservait chez lui quantité d’affiches sur les murs de sa maison. 


L’exposition du musée Marmottan-Monet est donc un véritable événement. Un fabuleux voyage dans la vie intime, les goûts et les amitiés du plus grand des impressionniste. Qu’aimait-il, qu’avait-il aux murs de sa chambre à Giverny ? Un Renoir, Un Manet, Un Pissarro ? Grâce à cette exposition, nous pouvons désormais l’entrevoir, l’imaginer et le comprendre. Car il y a encore peu de temps, on ignorait tout de cette collection privée. Et comme le rappelle la commissaire de l’exposition, L’histoire commence en fait au soir de l’année 1920. 

Il faut imaginer, imaginer entrer un instant chez le peintre. Voilà ce qu’il s’est passé. Monet reçoit chez lui, à Giverny, quelques amis. En fait il les emmène dans sa chambre à coucher, où sont accrochés de magnifiques tableaux. Quelques témoignages font référence à cet épisode mais sans plus de détails. Et c’est pourtant à partir de cette faible indication que Marianne Mathieu, commissaire de l’exposition, décide de mener l’enquête, curieuse de savoir ce que le grand Monet pouvait bien conserver précieusement dans sa chambre. Son premier réflexe est de se tourner vers l’inventaire après décès du peintre, qui liste toute chose lui ayant appartenu/ Mais, pas de chance, l’inventaire a été détruit par un bombardement anglais pendant la guerre. Marianne Mathieu se tourne alors vers différents documents, livres de ventes, catalogues, correspondances épistolaires…un vrai travail de fourmi pour tenter de retrouver les traces des œuvres de cette collection secrète. Quatre ans d’un travail minutieux digne d’une enquête policière. Pari réussi ! Aujourd’hui, dans l’exposition, vous pouvez admirer plus d’une centaine d’œuvres venues des quatre coins du monde, prêtées par les plus grands musées et collectionneurs privés. 

La chronologie de cette histoire inédite parle d’abord d’un Monet sans le sou, puis d’un Monet qui progressivement connaît le succès et va bientôt acheter ses contemporains en salle des ventes.
De la première période date par exemple une caricature de Charles Lhullier qui est aussi le plus ancien portrait connu du peintre. Un autre tableau, de Gilbert Alexandre de Séverac, montre Claude Monet, jeune, encore imberbe, une image très rare de l’artiste. Ces deux œuvres constituent, en fait, des dons de la part de ses amis artistes. Car lorsque Monet arrive à Paris en 1859, il n’a pas d’argent, vit une vie de bohème mais se fait un solide réseau. Au premier rang duquel Manet et Renoir qui viennent rendre visite au peintre et à sa femme Camille dans la maison qu’il habite désormais à Argenteuil. Vous les rencontrerez dans l’exposition à travers leurs tableaux qui  représentent des portraits de la famille Monet et des scènes de plein air. Renoir sera le plus assidu et le plus prolifique dans cet exercice. Ainsi, ce sont des tableaux d’amitié qui entrent chez Monet et il en gardera certains précieusement jusqu’à sa mort. 

Puis, le temps passe, le réseau s’étoffe et s’ajoutent bientôt les échanges. Avec Gustave Caillebotte, Berthe Morisot et Camille Pissarro, trois de ses plus chers amis. Monet réalisera un grand panneau figuratif pour orner la résidence de Berthe Morisot à Paris. Et en échange, il se contentera d’un tableau de son amie en guise de paiement. De la même manière pour Camille Pissarro, auquel Monet avance de l’argent pour acquérir une maison. A la place d’un remboursement pur et simple, Monet souhaite que Pissarro lui donne le tableau intitulé Paysannes plantant des rames, une œuvre très importante qui avait fait les beaux jours d’une exposition chez le marchand Durant-Ruel. Mais l’anecdote raconte aussi que Pissarro venait d’en faire cadeau à sa femme Julie qui ne fut donc pas très heureuse que l’œuvre lui échappe finalement ! Les anecdotes sont nombreuses et l’on n'en finirait pas de les conter. 

Un peu plus loin dans l’exposition, l’histoire se poursuit avec  trois Rodin, un bronze et deux plâtres. En échange de l’un d’eux, on sait que Monet donna au sculpteur, une de ces 39 vues de Belle-Ile-en-Mer, une peinture conservée aujourd’hui au musée Rodin de Paris. Mais là où l’histoire de l’art devient plus croustillante c’est lorsque des chef-d’œuvres sont redécouverts sur le tard. Ainsi un de deux plâtres de Rodin figurant Deux bacchantes s’enlaçant vient tout juste d’être déniché par la commissaire de l’exposition dans une collection particulière française. C’est « la découverte » de l’exposition s’exclame-t-elle enthousiaste. Rodin l’a signée « Au grand mâitre C. Monet, son ami Rodin ». Voilà bien la preuve d’un cadeau du maître de la sculpture au maître de la peinture. 

A partir des années 1890, Monet est un artiste reconnu et a enfin de l’argent. Fini les dons et les échanges. Il acquiert désormais des toiles en salle de vente, jamais en son nom cependant, toujours en passant par un courtier. Souvent par le biais des grands marchands de l’époque, Paul Durand-Ruel, Ambroise Vollard ou Georges Petit. Il achète alors ses premières amours, les précurseurs de l’impressionnisme, Corot, Jongking et bien sûr Eugène Boudin qui avait été son maître au Havre. Ce qui ne l’empêche pas d’être fidèle à ses contemporains. Deux sublimes baigneuses de Renoir en témoignent. L’œuvre la plus importante et la plus fascinante est sans aucun doute le grand Nègre Scipion de Cézanne, œuvre de jeunesse d’un artiste encore méconnu en 1895 mais que Monet admire et souhaite soutenir. Il l’acquiert 400 francs, une broutille à l’époque ! ça coutait en effet beaucoup moins cher qu’un Corot, un Boudin ou un Renoir pour lesquels il doit débourser plusieurs milliers de francs. Autre chef-d’œuvre du parcours, la Jeune fille au bain de Renoir, un tableau dont on disait aux alentours de 1900 qu’il était « éblouissant de couleurs, d’une merveilleuse époque de Renoir ».  

Évidemment, personne n’en doute, Monet avait très bon goût. Et il faut aujourd’hui s‘imaginer que tous ces tableaux furent accrochés pour de longs ou de plus courts moments aux murs de sa chambre à Giverny, aux côté des estampes japonaises qu’il collectionnait en grand nombre. Une collection intime et secrète que l’on découvre comme on lève un rideau pour entrevoir un trésor. On touche aussi plus près à la vie quotidienne du peintre, aux membres de sa famille, pour lesquels il acheta aussi beaucoup d’œuvres d’art. Il reste probablement encore beaucoup à apprendre de cet aspect méconnu du grand peintre. L’enquête a bien débuté et elle se poursuivra. Il ne nous reste plus qu’à suivre ce conseil du peintre qui disait : « Ma collection est pour moi seul, et pour quelques amis. Venez la voir ! » Eh bien, Allons la voir !! Elle est au musée Marmottant-Monet à Paris jusqu’au 14 janvier.

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