dimanche 25 septembre 2016

Contes et légendes de la peinture troubadour

La peinture troubadour est en vogue au début du XIXe siècle. Le Moyen Age, si longtemps méprisé, est réinventé par de jeunes artistes originaires de Lyon qui s’attachent à représenter son architecture mais aussi ses contes et ses légendes…

Héloïse et Abélard, Tristan et Iseult, Henri IV et Gabrielle d’Estrées, autant de personnages historiques qui n’ont cessé d’alimenter l’imaginaire collectif par leurs destins tragiques et leurs histoires d’amour impossibles. Devenus légendaires par la plume des écrivains et des imagiers, ils connaissent une fortune sans précédent au début d’un XIXe siècle qui délaisse l’idéalisation de l’Antiquité au profit d’un retour à l’histoire nationale. La mode est au « genre anecdotique », ainsi nommé par les critiques de l’époque, privilégiant la représentation de l’histoire par le prisme des sentiments et de l’anecdote. 

Valentine de Milan pleurant la mort de son époux Louis d’Orléans, assassiné en 1407 par Jean, duc de Bourgogne, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg

Les chefs de file de ce courant sont lyonnais, issus de l’atelier de David, et s’appellent Pierre Révoil (1776-1842) ou Fleury Richard (1777-1852). Ce dernier, fasciné par le gisant de Valentine Visconti qu’il voit lors de ses déambulations au musée des Monuments français (1793-1816), fondé par Alexandre Lenoir au couvent des Petits Augustins à Paris, présente au Salon de 1802 sa Valentine de Milan pleurant la mort de son époux Louis d’Orléans, assassiné en 1407 par Jean, duc de Bourgogne. Le tableau est acclamé par les amateurs et le public qui y voient, dans son intérieur gothique et la pose mélancolique de la jeune femme, le point de départ d’une nouvelle peinture d’histoire, plus intimiste. D’autres artistes (Bouton, Vauzelle) s’inspireront ensuite de la mise en scène architecturale du musée des Monuments français, en particulier du monument funéraire des célèbres amants Héloïse et Abélard (reconstitué puis transféré en 1817 au cimetière du Père Lachaise) ainsi que des tombeaux royaux de Saint-Denis.
Cette même année 1802, Chateaubriand publie son Génie du christianisme qui exalte la foi chrétienne au sortir des années révolutionnaires. Dans ce contexte, l’intérieur des églises gothiques, leur mystère et leur luminosité particulière, la vie monastique et la spiritualité qui l'accompagne deviennent des sujets d’étude inédits alors que les premiers défenseurs du patrimoine, comme l’abbé Grégoire, Aubin-Louis Millin ou Victor Hugo, crient la fin des démolisseurs et des vandales. 
Le phénomène est porté par les écrits d’historiens et d’écrivains qui se livrent à une véritable archéologie de l’histoire, doublée d’une toute nouvelle conscience patrimoniale. Parmi eux, Les Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France de Taylor et Nodier connaissent le succès éditorial. Cryptes et tombeaux, cloîtres gothiques et chapelles d’églises, châteaux médiévaux, parfois laissés à l’état de ruines, font revivre les légendes ancestrales d’un passé rêvé. La peinture troubadour inventorie ainsi, à sa manière, les monuments historiques ; dont certains ont disparu depuis, comme la chapelle de l’Observance de Lyon ou l’Ermitage de Vaucouleurs (inspiré du cloître Notre-Dame de l’Isle à Vienne, détruit par un incendie en 1822), représentés plusieurs fois par Richard. L’italien Luigi Bisi, lui, peint avec minutie l’intérieur gothique de l’église de Brou, tandis que Forbin et Granet se spécialisent dans la peinture de cloîtres. 

 Jean Auguste Dominique Ingres, Paolo et Francesca, 1819 © Angers, Musée des Beaux-Arts.

Le style troubadour plaît, avec ses tableaux de petits formats et sa facture qui rappelle la peinture hollandaise du XVIIe siècle. L’impératrice Joséphine en achètera plusieurs. Le décor gothique éclairé par une source de lumière est prétexte à la représentation de scènes galantes et chevaleresques qui restituent l’ambiance des siècles passés (architecture, mobilier, tenture, vêtements, vitraux). Les artistes aménagent souvent la réalité des faits pour les besoins d’une esthétique narrative inspirée par les récits d’Horace Walpole, Walter Scott ou Mary Shelley. Puis, on assiste au glissement du « genre anecdotique » vers le « genre historique », plus emphatique, centré sur les épisodes marquants de l’histoire nationale et même européenne. Ainsi retrouve-t-on Révoil et Fleury aux côtés d’Ingres et de Delaroche. Les productions historiques du premier ne rencontreront pas le succès critique attendu (bien qu’elles soient intéressantes pour nous : à noter l’acquisition récente d’une œuvre d’Ingres L’Arétin et l’envoyé de Charles Quint par le musée de Lyon) alors que le second s’imposera avec sa Jeanne d’Arc, son Cromwell et Charles Ier ou ses Enfants d’Edouard (assassinés par Richard III), largement diffusés par la gravure puis copiés
Ainsi, autour de 1830, le genre troubadour devient « international » avec la Clique de St John’s Wood en Angleterre, Pelagio Palagi en Italie ou Eduardo Rosales en Espagne. De Jeanne la Folle à Marie Stuart, en passant par Charles Quint qui ramasse le pinceau de Titien, les amours de Filippo Lippi et Lucrezia Buti, Le Tasse et Montaigne et autres Du Gesclin et Bayard, la peinture troubadour encore mal connue, est nourrie pourtant par des récits que nous avons tous un jour entendus. Ainsi se laisse-t-on conter l’histoire de France et d’Europe en images...

Pour approfondir le sujet : le catalogue en 2 volumes des expositions de 2014 au Monastère Royal de Brou et du musée des Beaux-Arts de Lyon, éditions Hazan, 2014 L’invention du passé, Gothique mon amour…1802-1830, tome I, 192 pages, 29 € ; L’invention du passé, Histoires de cœur et d’épée en Europe, 1802-1850, tome II, 320 pages + cd-rom, 39 €

jeudi 22 septembre 2016

Degas et les "impudents farceurs"

S’il fut considéré comme un des chefs de file du mouvement impressionniste, lui ne pensait peut-être pas la même chose...
Devant les Nymphéas de Monet, Degas lance, provocateur, qu’ « il n’éprouve pas le besoin de perdre connaissance devant un étang. » Il ne peint pas la nature, ou très peu, et encore moins en plein air ! Il préfère l’atelier où il se confronte, jeune peintre, aux classiques – en particulier Ingres qu’il admire – puis s’épanouit dans les portraits et les scènes de genre, ce qui l’autorise – pense-t-il - à railler ses amis impressionnistes, ces « impudents farceurs », aux côtés desquels il expose pourtant de 1874 à 1886. Mais, est-il vraiment impressionniste ? On préfère parler de « novateur ». Car Degas adopte un regard moderne, explorant les possibilités de la photographie qu’il traduit en peinture par des cadrages inédits et des recherches sur le mouvement dont témoignent ses peintures (et sculptures) de ballets à l’opéra et de courses de chevaux. C’est un instantané reproduit sur la toile, souvent accentué par l’effet vibrant du pastel. Des scènes prises sur le vif, des moments volés, comme cette femme peinte de dos dans La visite au musée ou ce petit rat de l’opéra qui ajuste sa ballerine. Un bureau de coton à la Nouvelle Orléans de 1873 est magnifique de précision tandis que les Danseuses au repos, vingt ans plus tard, sont exubérantes de couleur. Le peintre ne s’est probablement jamais pensé impressionniste, ce qui ne l’empêcha pas d’avouer à Monet, abandonnant sa vantardise : « Vos tableaux m’ont donné le vertige ». 

 Un bureau de coton à la Nouvelle-Orléans, huile sur toile, 1873, musée de Pau

lundi 19 septembre 2016

Dewar et Gicquel, de l'art des...sanitaires

Il se sont rencontrés à l'Ecole des Beaux-Arts de Rennes et ont obtenu le prix Marcel Duchamp en 2012. La sculpture les a réunis pour une aventure à quatre mains. Jusqu’au 15 octobre, la galerie parisienne Loevenbruck expose leur travail. 

Ensemble, ils modèlent et sentent la matière. Plus celle-ci leur résiste, plus ils relèvent le défi. Il est question de processus de création et d’expérimentations. Daniel Dewar et Grégory Gicquel aiment l’acte d’élaboration, quand la forme surgit de manière « artisanale ». L’aspect souvent non lisse, presque inachevé de leurs sculptures, permet de percevoir le geste créateur ancré dans une base d’où prend forme une figure. Les stigmates de l’effort physique semblent faire partie de l’œuvre qui n’en est que plus émouvante. 
Crédit : Jennifer Westjohn
De leur grand atelier bruxellois, sont sorties dix œuvres présentées dans les jardins de l’hôtel Biron en 2014. Des jambes, des pieds, un buste, des corps humains, autant de figures qui ont nécessité un long travail de modelage. A l’atelier, cela correspond à près de vingt tonnes d’argile. De la matière, toujours de la matière. Les œuvres finies sont marquées par le regard décalé, voire humoristique des deux artistes, un regard à la Marcel Duchamp, posé sur les choses ordinaires. Ils aiment détourner les objets et jouer avec les références à l’histoire de l’art. Des fragments ou même des morceaux « d’architecture » côtoient d’étranges allégories qui prennent la forme d’animaux ou de… sanitaires! Les sanitaires, justement, une des obsessions des deux sculpteurs. Là encore, Duchamp n’est pas loin.
A la galerie Loevenbruck jusqu’au 15 octobre, leur exposition montre des hauts-reliefs en céramique composés simplement de carreaux, comme ceux que l’on peut apposer aux murs de nos salles de bain ou de nos sanitaires. De cette structure de base somme toute banale, de petites formes de lavabos et de cuvettes WC pointent le bout de leur nez, comme des ornements ; l’ornement du quotidien. L’art en devient-il banal, insignifiant, voire même ridicule ? Dewar et Gicquel prônent le contraire. Tout est art semblent-ils dire, comme Ben peut le faire en peinture. Le façonnage industriel, les objets fabriqués en série, ont eux aussi leur propre forme, leur propre design, pensé et dessiné par un « artiste » de l’ombre et du quotidien. Ils peuvent donc entrer dans l’art fécondé par le modèle de notre société moderne. Le beau n’est pas la question ici. Le rêve non plus d’ailleurs. Mais le détournement des images et le message des artistes lancé à notre époque, oui.
La complexité des projets de Dewar et Gicquel vient souvent de la densité du béton utilisé qui nécessite des moules renforcés. Surtout pour leurs sculptures en grand format, comme celles qui ont animé le jardin de l’Hôtel Biron (Musée Rodin) à Paris en octobre 2014 dans leur exposition intitulée « La jeune sculpture ». Le duo d’artistes avait confié alors vouloir prendre le contrepied de la reproductibilité des œuvres (dont Rodin lui-même avait bénéficié). En perpétuelle évolution, ils ne cessent de questionner à travers leurs différents travaux la place de la sculpture dans notre société actuelle, ce qui les a menés à commencer  une série photographique de leurs œuvres en atelier, nouvelle imagerie de leur réflexion sur la sculpture.  

Dewar et Gicquel sont représentés par la galerie Loevenbruck à Paris. En ce moment y est présentée leur exposition « Soneware murals ».

dimanche 18 septembre 2016

Les trésors 2.0

Sauvetage numérique des trésors du patrimoine mondial, start-up innovantes et archéologues courageux...à l'occasion des Journées européennes du patrimoine des 17 et 18 septembre 2016, découvrez mon reportage "Les trésors 2.0" :
"Comment notre patrimoine culturel, victime des guerres et en proie à des destructions idéologiques de plus en plus fréquentes, peut-il être préservé ? Des innovations technologiques peuvent apporter une solution. Celles-ci peuvent aussi faire renaître les trésors disparus du passé en reconstituant par exemple les temples de Palmyre avec une imprimante 3D ou encore nous permettre de visiter un musée virtuel. Ce qui était hier une utopie pourrait bientôt devenir une réalité." ... 


Relief provenant du site de l’ancienne cité fortifiée d’Hatra en Iraq : ce relief était conservé au musée de Mossoul et a été détruit en février 2015 lors du saccage du musée par les islamistes. Il est ici reconstitué virtuellement grâce à la technique de la photogrammétrie utilisée par les volontaires du Projet Mossoul consacré à la numérisation du patrimoine culturel irakien.

jeudi 15 septembre 2016

Rencontre avec le peintre Philippe Cognée : "Je préfère la figuration"

« Ce qui m’intéresse c’est peindre le réel tel qu’il est et comment je peux le déplacer. » Je rencontre Philippe Cognée à la sortie de l’École des Beaux-Arts, à Paris, où il enseigne. Il se met à parler de peinture, sa raison de vivre, depuis son enfance en Afrique, au Bénin, jusqu’à ses grandes expositions, comme celle de Versailles en 2011 ou celle du château de Chambord en 2014 où il avait montré ses portraits, ses architectures, ses carcasses d'animaux, ses poissons et ses célèbres vues d'architectures réalisées à partir de Google Earth. Une exposition dans laquelle il avait pensé l'accrochage "en rapport avec la verticalité et l'horizontalité du lieu, comme en écho à l'escalier à double vis de Léonard de Vinci qui se trouvait au centre des salles d'exposition. Tout devait pouvoir s'articuler plan par plan", raconte-t-il avec précision. Dans son atelier près de Nantes, il passe des heures à « révéler » des images. Il a cette opiniâtreté au travail, cette urgence à peindre.
« Ça se liquéfie et ça se fige comme la lave d’un volcan. Dans un premier temps, je construis, puis ensuite, c’est la surprise d’une image qui se révèle. » m'explique-t-il. Dans la distorsion créée par la technique de l’encaustique qu’il chauffe au fer à repasser sur la toile, la métamorphose de la matière trouble l’image qui semble vibrer par ses contours flous. « Ce qui m’intéresse c’est l’imprécision, la mise en danger, la fragilité de l’œuvre » continue-t-il avec passion. Le motif se distend, s’échappe presque. « Il y a une part d’exploration dans mon travail. Je recherche la tension. Je peux repasser trois à quatre fois le fer ! » L'exploration de l'artiste n'est jamais terminée.  En me parlant, il dessine, croque, il ne peut s'en empêcher. « Un peintre doit se renouveler » dit-il. Il me confie que son travail en cours, à partir de photographies d’œuvres contemporaines, est très ambitieux. Un gros projet, hors norme, inédit, tel une grande fresque qui montrera une multitude d'images mises côte à côte. Il ne veut pas en dire plus, reste dans le secret mais la finalité de ce nouveau travail sera bien sûr, toujours, la peinture.

 Philippe Cognée dans son atelier. Crédit : Philippe Cognée

Au Radar à Bayeux, dans le cadre de festival Normandie impressionniste, une exposition (commissariat de Philippe Piguet) montre ses portraits sous le titre "figures envisagées" encore visible jusqu'au 18 septembre. Ce sont les derniers jours, dépêchez-vous pour découvrir cet artiste contemporain incontournable. 

Philippe Cognée est représenté par galerie Daniel Templon à Paris

mardi 6 septembre 2016

Paris dans les oreilles

Vertuchou ! En voilà une bonne idée que d'écouter sur son téléphone, en se promenant sur les bords de Seine, les reconstitutions sonores du Paris d'autrefois effectuées très sérieusement par le CNRS et l'EHESS. Revivre dans ses oreilles le Paris du XVIIIe siècle à travers ses quais, ses bateaux, l'activité de ses ports, ses marchandes de fruits et légumes ou encore ses tripiers et ses bonimenteurs, est une expérience inédite. La balade sonore "Gens de la Seine" est constituée de 19 récits qui nous font comprendre à quoi ressemblaient les rives de la Seine au XVIIIe siècle. Il faut s'imaginer la prison du Châtelet et le quartier malodorant des bouchers à l'arrière, les ponts chargés de maisons et les ports accueillant le débarquement de marchandises en tout genre, tel le port Saint-Paul (illustration). A défaut de plonger dans la Seine, plongeons dans le passé ! Prochainement à découvrir sur le même principe : Gens du Louvre, Gens de Belleville, Gens de 39-45, Gens du sport, Gens de la Commune ou Gens de la Nuit. Les promeneurs du 21e siècle que nous sommes seront charmés d'entendre si proches les rires, les bruits et la gouaille des Parisiens d'antan.